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Pourquoi la dette de la France n’arrête-t-elle pas d’augmenter ?

Economie
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La croissance continue de la dette publique en valeur depuis 25 ans est le résultat d’une croissance de la dépense publique non financée et de l’accumulation des déficits qui en résulte. Mais l’objectif des gouvernements est moins de limiter son expansion que d’assurer sa soutenabilité.

La dette publique de la France s’est élevée à 3 228 milliards d’euros à la fin du deuxième trimestre 2024, selon les dernières données de l’Institut national de la statistique Insee. Soit un montant qui a quasiment quadruplé par rapport à l’an 2000. Au début du siècle, la dette représentait 60 % du PIB (la production totale de biens et de services) contre 112 % aujourd’hui et 110 % en 2023.

La hausse continue de la dette publique en valeur résulte principalement de l’accumulation des déficits réalisés par les administrations publiques, à savoir l’État, les organismes de sécurité sociale et les collectivités locales. L’État est toutefois à l’origine de la très grande majorité (81 %) de la dette publique via ses déficits budgétaires répétés. Le budget est en effet structurellement déficitaire depuis 50 ans, le dernier excédent remontant à 1974. Autrement dit, les dépenses de l’État sont systématiquement supérieures à ses recettes, notamment fiscales.

Un déficit budgétaire structurel

L’économiste François Ecalle s’est penché sur les efforts de réduction des déficits publics de la France entre 1989 et 2023 dans une analyse publiée en septembre sur son site Fipeco. Il a calculé l’impact des mesures nouvelles en matière de prélèvements obligatoires et de dépenses publiques. Le résultat ? Les dépenses et les impôts ont tous les deux augmenté sur la période. Mais les dépenses ont beaucoup plus progressé que les impôts pour un impact négatif global sur le déficit budgétaire de 4,1 points de PIB.

Cette tendance à la dépense non financée amène la France à afficher en 2023 le taux de dépenses publiques par rapport au PIB le plus élevé de la zone euro : 57,3 % contre 50 % en moyenne, selon Eurostat, l’organisme des statistiques de l’Union européenne (UE). Mais elle pointe aussi au second rang pour les prélèvements obligatoires, à 45,6 % du PIB, contre 40 % en moyenne pour l’ensemble de la zone euro, toujours selon Eurostat. Ces prélèvements sont toutefois insuffisants pour équilibrer les comptes de l’État : le déficit budgétaire s’est élevé à 5,5 % du PIB en 2023.

La France se retrouve ainsi en contravention avec les traités européens qui obligent chaque État membre de l’UE à avoir une dette publique inférieure à 60 % du PIB et un déficit public inférieur à 3 % du PIB, un critère qu’elle n’a respecté qu’à trois reprises depuis l’an 2000 (en 2006, 2007 et 2018).

Ces règles ont été suspendues entre 2020 et 2022 en raison du Covid. Leur remise en vigueur cette année (sous une forme pourtant assouplie) a conduit l’UE à lancer le 26 juillet une procédure pour déficit excessif (PDE) contre la France au titre de l’année 2023. Celle-ci implique que la France présente un plan d’ajustement permettant de réduire le déficit public de 0,5 point de PIB par an sur le moyen terme (entre 4 et 7 ans).

 

La France a été ciblée par une PDE de 2009 à 2018, mais n’a jamais subi les sanctions théoriquement prévues en cas d’absence de mesures correctrices. Six autres pays de l’UE ont également été visés par une PDE cette année : l’Italie, la Belgique, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et Malte.

Les crises expliquent-elles la hausse ?

La hausse continue de la dette publique française n’est toutefois pas due qu’aux déséquilibres structurels de son budget. À l’instar des autres pays, la France a subi trois crises majeures en moins de vingt ans : la crise financière en 2008, la crise Covid en 2020 et la crise énergétique liée à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. Celles-ci ont durement impacté la croissance, et donc les recettes fiscales, tout en impliquant des dépenses publiques exceptionnelles pour y faire face.

Selon une note parue en mai de l’OFCE, le centre de recherche en économie de Sciences Po, si la dette est passée de 64,5 % du PIB en 2007 à 110,6 % du PIB au premier trimestre 2024, ces trois crises y ont largement contribué, dans une proportion allant de 44 % à 69 % selon la méthode de calcul utilisée.

La dette de la France est-elle soutenable ?

La soutenabilité de la dette correspond à la capacité d’un pays à honorer le paiement de ses échéances. Elle n’a pas de rapport direct avec le montant total en valeur de celle-ci. En 2007, le Premier ministre François Fillon se décrivait « à la tête d’un État en faillite » en raison d’une dette de 1 270 milliards d’euros. Quinze ans plus tard, force est de constater que la France n’a pas fait défaut malgré 2 000 milliards d’euros de dette supplémentaire.

Le ratio de la dette sur le PIB a l’avantage de permettre des comparaisons internationales, mais il n’est pas davantage prédictif. Au niveau européen, au deuxième trimestre 2024, la France est ainsi seulement dépassée par la Grèce (163,6 %) et par l’Italie (137 %), selon Eurostat. Et elle se situe très au-dessus de la moyenne de la zone euro (88,1 %). Mais il n’existe pas de niveau déterminé qui soit synonyme de faillite. Cas extrême, la dette du Japon représentait 216 % de son PIB en 2022, selon la Banque mondiale, sans que cela suscite d’inquiétudes.

L’indicateur clé à surveiller est en fait celui de la charge de la dette publique, un poste qui recouvre les dépenses que l’État consacre chaque année au paiement des intérêts de sa dette. Le remboursement du capital de la dette n’est paradoxalement pas un problème crucial pour un État. Parce qu’il est présumé immortel, il a en effet la possibilité de rembourser le capital d’un emprunt arrivant à échéance en réempruntant le même montant : c’est ce qu’on appelle faire rouler la dette. Dans ce cas, le stock de dettes d’un État ne se réduit pas. En France, il s’accroît même puisqu’il faut emprunter chaque année de quoi financer le déficit du budget.

 

La mécanique complexe de la charge de la dette

La charge de la dette dépend d’abord du taux d’intérêt auquel elle est contractée et du stock de dettes. Mais elle dépend aussi de la croissance. Plus la croissance est forte, plus le PIB augmente et plus le poids de la charge de la dette par rapport au PIB diminue. Par ailleurs, un surcroît de croissance signifie en général plus de recettes fiscales et moins de dépenses sociales, donc moins de déficits.

Si le taux d’intérêt est inférieur au taux de croissance sur la durée, la charge de la dette est soutenable. Sous certaines conditions de taux d’intérêt et de croissance, il est même possible de continuer d’accepter un certain niveau de déficit budgétaire sans augmenter le ratio dette sur PIB. C’est ce qu’on appelle le solde stabilisant de la dette.

Grâce à la baisse des taux d’intérêt enregistrée au cours des deux premières décennies du siècle, la charge de la dette de la France a même enregistré une diminution régulière par rapport au PIB, passant de 3 % en 2000 à 1,25 % en 2020. Elle est remontée à 2 % du PIB en 2022 avant de redescendre à 1,9 % en 2023 grâce à l’inflation qui a gonflé le PIB.

Mais la France semble être arrivée au bout de cette dynamique positive. La remontée des taux d’intérêt entre 2022 et 2024, même si elle ne se poursuit pas, va peser au cours des années à venir puisqu’elle va augmenter le taux d’intérêt moyen de la dette française. Et comme le stock de dettes va gonfler avec de nouveaux déficits budgétaires – qui atteindraient 6,1 % du PIB en 2024 et 5 % du PIB en 2025 pour ne passer sous les 3 % qu’en 2029, selon le projet de loi de finances pour 2025 -, la charge de la dette va mécaniquement augmenter. Elle atteindrait 2,3 % du PIB en 2025 et 2,8 % en 2027, voire 3,1 % en 2031.

Cette évolution illustre le risque de l’effet boule de neige d’une remontée des taux lorsque les déficits budgétaires ne sont pas maîtrisés. En valeur, la charge de la dette passerait de 51 milliards d’euros en 2024 à 70 milliards d’euros en 2027. Elle pourrait devenir à cette date le premier poste du budget de l’État devant l’éducation nationale.

Une dette très demandée

La soutenabilité de la dette dépend enfin de l’existence de créanciers prêts à l’acheter. En 2023, le besoin de financement de l’État nécessaire pour rembourser les prêts arrivant à échéance et le déficit budgétaire s’est élevé à près de 315 milliards d’euros, un niveau qualifié de « préoccupant » par la Cour des comptes. Reste que l’agence France Trésor (AFT) chargée de placer les titres de dette de l’État n’a aucun mal à trouver des créanciers.

C’est d’ailleurs ce que reconnaît l’agence de notation Moody’s, dans une note du 25 octobre expliquant pourquoi elle maintient la note de la dette de la France à Aa2 (correspondant à un 18 sur 20) tout en la plaçant sous perspective négative. Elle estime en effet que « le risque de liquidité [c’est-à-dire de manquer d’acheteurs, NDLR] est très faible compte tenu du caractère de valeur refuge de la dette publique française ».

L’AFT doit toutefois consentir des taux d’intérêt plus élevés. Celui de ses obligations à 10 ans a par exemple atteint 3,10 % au début novembre contre 1 % en avril 2022. Le taux pour des titres équivalents s’élève à 2,39 % pour l’Allemagne et 2,79 % pour le Portugal, un pays au bord de la faillite il y a une dizaine d’années. Ce différentiel de taux d’intérêt – appelé le spread – correspond à une prime de risque par rapport à des États aux finances publiques mieux gérées.

La dette de la France est détenue essentiellement par des investisseurs institutionnels (fonds de pension, compagnies d’assurance, banques…) et à près de 55 % par des investisseurs étrangers, selon les dernières données de l’AFT. La France est ainsi « l’un des pays de l’OCDE dont la dette est la plus fortement détenue par des non-résidents », selon un rapport de la Commission des finances de l’Assemblée nationale publié en mai dernier.
Au-delà du montant de la dette, il existe donc un risque que « des intérêts étrangers ne puissent, demain, se mobiliser sur le terrain de la dette pour exercer des pressions sur nos politiques », estiment les députés.

Article rédigé par Brief.eco

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