Panorama des fintechs françaises en 2024
Le processus de digitalisation et de « plateformisation » de l’économie frappe tous les secteurs de plein fouet, à une vitesse plus ou moins forte selon le degré antérieur de digitalisation atteint. Le secteur de la finance est particulièrement touché et il se transforme rapidement sous l’impact de l’adoption des nouvelles technologies. Ces dernières, l’intelligence artificielle, le big data, le cloud, la blockchain, la biométrie, les interfaces de programmations applicatives, l’automatisation des process … révolutionnent le monde de la finance en augmentant très significativement la productivité d’un secteur encore très administratif, permettant de diminuer les coûts en améliorant et fiabilisant les processus, rendant le secteur plus efficace et moins cher.
Comme souvent, le courant d’innovation prend naissance au sein de nouvelles structures créées pour mettre en œuvre le processus d’innovation : les start-ups de la finance digitale ou fintechs. En effet, plus de 80% de l’innovation dans la finance digitale se concentre dans les start-ups fintechs ; les grands groupes du secteur, même si eux aussi innovent sont le plus souvent, utilisateur, acheteur ou intégrateur de la technologie développée au sein des start-ups.
Mais comment définir les fintechs ? Sur quels segments industriels les fintechs sont-elles actives ? Quel est leur poids économique ? Qu’est-ce qui structure en 2024 l’évolution du secteur ?
On utilise parfois le terme « tech for fin » pour désigner les fintechs qui apportent des briques technologiques aux acteurs de la finance traditionnelle. Si les partenariats entre fintechs et grands groupes sont déjà nombreux et matures, c’est que les fintechs apportent à ces acteurs, une capacité de recherche et de développement qu’il leur est complexe d’internaliser.
D’après l’enquête fintech 100 (1) réalisée chaque année depuis 2022 par le pôle Finance Innovation en partenariat avec Truffle, Sopra et BPCE, quatre technologies principales au sein des fintechs se détachent très nettement des autres : IA (49%), Data (53%), Interfaces (58%) et Open Banking (49%). Ces technologies sont précisément celles qui sont nécessaires pour maîtriser la création de valeur liée à la circulation des données entre les acteurs : Développement et sécurisation des échanges de données personnelles d’un côté, et Intelligence Artificielle pour en tirer des bénéfices de l’autre.
Cette analyse est d’ailleurs confirmée par les partenariats technologiques noués par les fintechs avec les grands groupes du secteur financier et assurantiel et soulignent l’importance croissante de la technologie dans la transformation de ce secteur. Ils permettent en outre aux grands groupes de renforcer leur offre de produits et services, d’améliorer leur efficacité opérationnelle et de rester compétitifs dans un marché en constante évolution.
(1) Le palmarès fintech 100, édition 2024, porte sur les 180 plus grosses fintechs de France
Pour bien saisir l’étendue du champ d’intervention des fintechs, nous allons examiner plus précisément dans quels sous-secteurs de la Finance celles-ci déploient leurs activités. L’enquête Fintech 100, fait apparaître l’insurtech comme la première activité des acteurs français de la fintech (à 21%). L’insurtech bénéficie d’un foisonnement d’innovations au services des assureurs (Shift Technology, Leocare…), et de nouveaux acteurs assureurs disposant du statut de compagnie d’assurance (Descartes Underswriting, Acheel, Seyna, Milo, Alan … Le paiement (Swile, Anycommerce), sous-secteur leader historiquement dans la fintech est en déclin : il passe de 23% en 2022 à 14% en 2023, dépassé par la croissance des créations de fintechs dans l’insurtech, mais aussi dans le financement innovant (plateforme de crowdlending ou financement de l’affacturage, revenue base financing) (12% des sociétés répondantes en 2023) qui représentent un pilier du secteur avec des nouveaux acteurs comme Silvr, Karmen et Defacto, sans oublier Younited Credit ou Alma ou encore dans la banque numérique (12% des sociétés répondantes) , dont le dynamisme est boosté par l’évolution réglementaire autour de l’Open Finance et l’Open banking (1), avec des sociétés comme Lydia, Manager One ou Qonto. Les services financiers (9% des sociétés répondantes en 2023) représentent aussi un pilier du secteur. Ces services, inaccessibles auparavant car trop coûteux en ressources humaines, s’adressent spécifiquement aux petites entreprises et sont très automatisés pour être plus rentables, comme la direction financière externalisée. Bien sur il ne faut pas oublier aussi les fintechs liées à l’Epargne (qui aident l’épargnant à placer de manière optimale en fonction de ses préférences) dont le poids reste stable (11%). On assiste aussi à une montée en puissance de la regtech (2) (7%) et du process automation (4%), l’automatisation des processus de contrôle, boosté par la poursuite de la montée en puissance de l’intelligence artificielle et du machine learning (3), qui irriguent l’ensemble du secteur pour de nombreuses applications. Enfin les Fintechs à impact (ESG…) passe de 2% à 7% du total, favorisées par l’évolution réglementaire en faveur de la finance verte et la lutte contre le réchauffement climatique. Une grande partie des levées de fonds 2023 s’est concentré sur ce segment de la fintech.
(2) L’open banking est un système bancaire dans lequel les consommateurs et les entreprises peuvent autoriser des banques ou d’autres acteurs qui fournissent des services financiers à avoir accès aux données sur leurs actifs et leurs opérations financières au moyen de canaux sécurisés en ligne, les interfaces informatiques ouvertes (API)
(3) Les Regtech visent à répondre aux exigences règlementaires et de conformité de façon plus efficace que les technologies « classiques ». Grâce à leur agilité, leur rapidité et leur capacité d’analyse, ces nouveaux outils utilisant l’intelligence artificielle, le cloud et le big data, permettent de gagner en efficacité, en robustesse, en pertinence et en temps.
(4) Le Machine Learning est un sous-ensemble de l’intelligence artificielle. Cette technologie vise à apprendre aux machines à tirer des enseignements des données et à s’améliorer avec l’expérience, au lieu d’être explicitement programmées pour le faire. Dans le Machine Learning, les algorithmes sont entraînés à trouver des corrélations dans de grands ensembles de données, ainsi qu’à prendre les meilleures décisions et à émettre les meilleures prévisions en s’appuyant sur leur analyse. Avec la pratique, les applications du Machine Learning s’améliorent. Et plus le volume de données auxquelles elles ont accès est important, plus elles deviennent précises.
Le poids économique des fintechs croit de manière significative d’année en année. Ainsi, si on s’en tient uniquement aux 100 premières fintechs qui regroupent 80% de l’activité des fintechs en France, leur chiffre d’affaires total atteint plus de 2 milliards (2,048 milliards) en 2023, soit une croissance (à périmètre constant par rapport aux chiffres de 2022) de 35% de l’activité. Environ 15 000 salariés travaillent dans le secteur, en progression de 5,2% par rapport à l’année dernière, à comparer à la croissance de 0,6% de l’emploi total en France durant l’année 2023. Par ailleurs, entre 2022 et 2023, le volume des fonds levés a significativement baissé passant de 2,9 milliards à 963 millions (5), soit une diminution de 67% en raison de la hausse des taux qui a incité les investisseurs institutionnels à se désengager de l’investissement dans les start ups, le ‘ private equity risqué pour investir dans les obligations d’Etat à la fois faiblement risquées et désormais plus rémunératrice. Ainsi, malgré cette mauvaise conjoncture défavorable et alors que la croissance macro-économique , les fondamentaux en termes de création d’emplois et de croissance dans la fintech sont solides et en font le secteur phare de la tech française (comparé à la santé, à la grande distribution, à l’éducation, aux technologies propres, aux objets connectés, à la sécurité…. ).
En 2023, 35% des entreprises du Next 40, ’indice des 40 premières licornes de la tech française, et 20% des entreprises du Frenchtech 120 (6), l’indice des 120 premières sociétés de la tech française en terme de croissance du CA et de montant de chiffres d’affaires, ) sont des fintechs. On constate donc une excellente résilience du secteur malgré la conjoncture actuelle plus compliquée.
(5) Fintechs française, Bilan annuels 2023 , France Fintech
(6) French Tech Next40/120 – La Mission French Tech (lafrenchtech.gouv.fr)
Un point très significatif de l’étude Fintech 100 2024, c’est le fait que le secteur semble se diriger vers une forme de maturité qui s’illustre par la consolidation en cours du secteur. En effet, 10% de fintechs du palmarès 2023, dont certaines sociétés de taille importante, sont sorties de l’indice suite à leur rachat par un grand groupe (acteur ou non de la finance) ou par une autre fintech. Par ailleurs, la concurrence entre les fintechs s’intensifie comme l’illustre les changements dans les classements. En effet, 29 nouvelles fintechs sont entrées dans le fintech 100 cette année, reléguant 29 autres fintechs au-delà de la 100ème place (en général entre la 101ème et la 140ème place).
Rachat et intensification de la concurrence, la tendance à la consolidation pourrait donc se poursuivre dans les prochaines années et même s’intensifier car 45% des entreprises envisagent une opération de croissance externe ou de fusion, ce qui confirme que le secteur entre dans une première phase de consolidation.
Le secteur gagne aussi en maturité par rapport à son modèle commercial et à la façon dont se structure le chiffre d’affaires des fintechs. En effet, on constate que les revenus annuels récurrents (ARR : Annual Recurring Revenu) occupent maintenant une part de plus en plus dans leur Chiffre d’Affaires. Cette évolution met en lumière la volonté des fintechs d’établir des modèles commerciaux durables, stables et prévisibles. L’augmentation de la part des revenus récurrents suggère, également, une forte adhésion à des services ou des produits demandés de manière continue par les clients. Cette transition peut être interprétée comme une réponse stratégique à la volatilité potentielle des revenus uniques, offrant une base financière plus solide et une meilleure capacité à anticiper et à gérer les fluctuations du marché. L’évolution vers des modèles de Software as a Service (SaaS) (7) dans le secteur vient renforcer cette tendance. Ces modèles permettent un déploiement rapide des services en limitant les investissements côté clients. Toujours en matière de modèles commerciaux , on assiste à une inversion de positionnement cette année : d’une cible marché B2C (Business to Consumer : une entreprise effectue des opérations commerciales pour des clients particuliers) (de 42% à 27%) à une cible B2B (Business to Business : ensemble des activités commerciales que deux ou plusieurs entreprises ont entre elles) (à 72%). C’est peut-être un signe que la rentabilité sur ce segment est meilleure ou en tout cas plus rapide à obtenir que sur le segment des particuliers qui lui est très gourmand en termes de capitaux aujourd’hui beaucoup plus difficiles à lever…
(7) Le Software as a Service, également connu sous le nom de SaaS, est un service basé sur le cloud auquel on peut accédez grâce à une application via un navigateur Internet, il n’est plus nécessaire de télécharger un logiciel sur son PC de bureau ou sur son réseau professionnel.
Pour terminer on vérifie la fonction des fintechs comme entités externes aux grands groupes financiers qui se spécialisent dans la transformation digitale du secteur : toujours selon le fintech100, 76% des fintechs ont mis en place un partenariat avec un grand groupe, parmi celles-ci, il s’agit à 87% d’un partenariat commercial (dont 52% avec une banque et 37% une assurance). Ces chiffres démontrent l’importance de la collaboration dans un secteur aussi dynamique et complexe que celui de la finance et de l’assurance. Ces partenariats offrent aux entreprises l’opportunité de combiner leurs forces, leurs expertises et leurs ressources pour développer des solutions innovantes, répondre aux besoins des clients de manière plus efficace et accéder à de nouveaux marchés, plus massifs. Ainsi les fintechs peuvent introduire rapidement des innovations en continuité ou en rupture, grâce à leur fonctionnement (agilité, réactivité, circuits de décision courts, absence d’héritage technologiques anciens difficile à faire évoluer), leur capacité à se focaliser sur un cas d’usage ou un segment spécifique, ou même leur mode de financement favorisant l’expérimentation et l’innovation. Les grands groupes, notamment bancaires, peuvent apporter les moyens financiers et humains, et leur rigueur de fonctionnement (gestion des risques, sécurité, conformité, …), et permettent un passage à l’échelle, permettant aux startups de bénéficier d’un accès à un marché plus large et de développer leur empreinte commerciale. Cette collaboration représente une opportunité stratégique visant à tirer parti des synergies et des complémentarités entre les différents acteurs du secteur. Cela permet non seulement d’apporter des solutions plus efficaces et adaptées aux besoins des clients, mais aussi de stimuler la croissance économique de l’écosystème et d’accélérer la transformation digitale du secteur de la finance de façon optimale.
Maximilien Nayaradou
Directeur Général Finance Innovation