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L’intelligence artificielle va-t-elle doper la croissance ?

Economie
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Technologie révolutionnaire, l’intelligence artificielle est censée accélérer la productivité, favoriser l’innovation et provoquer en une décennie une augmentation de la richesse mondiale pouvant se chiffrer en milliers de milliards d’euros. Mais ces prévisions optimistes sont remises en question par de nombreux économistes. L’intelligence artificielle, pour produire ses effets bénéfiques, doit surmonter de nombreux obstacles.

L’IA, c’est quoi ?

L’intelligence artificielle (IA) désigne l’ensemble des techniques permettant à des machines de simuler l’intelligence humaine. Elle a été définie par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), qui rassemble 38 pays parmi les plus développés du monde, comme un « système automatisé qui, pour un ensemble donné d’objectifs définis par l’homme, est en mesure d’établir des prévisions, de formuler des recommandations, ou de prendre des décisions influant sur des environnements réels ou virtuels ».

Outre cette assistance à la décision humaine, l’IA permet de produire des contenus comme des textes, des images ou des sons — on parle alors d’IA générative. Associée à des robots, elle permet de réaliser des tâches physiques. Ses applications sont déjà nombreuses : la reconnaissance vocale, la robotique industrielle, les véhicules à conduite automatisée, la détection de pathologies en imagerie médicale, les assistants commerciaux virtuels, la reconnaissance faciale, la publicité ciblée ou encore le repérage d’anomalies financières pour lutter contre la fraude fiscale.

À l’instar de la machine à vapeur, de l’électricité ou des technologies de l’information et de la communication, elle est considérée par l’OCDE comme une « technologie à usage général »

(TUG) : ses applications influencent l’ensemble des activités humaines, son efficacité s’améliore constamment et elle nourrit un flux continu d’innovations. Une autre caractéristique des TUG est de permettre une croissance de la productivité globale sur une longue période.

Les promesses de l’IA

Dans une étude d’avril 2023, les économistes de la banque Goldman Sachs estiment que le développement de l’IA générative augmentera la productivité dans le monde de 15 % au cours des dix prochaines années, conduisant à une hausse de 7 % de la richesse mondiale, soit 7 000 milliards de dollars.
La même année, des consultants du cabinet McKinsey estiment que l’IA peut faire croître le produit intérieur brut (PIB, la production totale de biens et de services) des pays développés de 1,5 % à 3,4 % par an durant la prochaine décennie.

« Un grand groupe multinational comme ceux du CAC 40 peut espérer gagner en dix ans 1 milliard de dollars annuels en productivité grâce à l’IA générative, à raison de 100 millions de dollars par an », affirmait Sylvain Duranton, directeur du cabinet de conseil BCG X, dans un article du quotidien Les Échos de novembre 2023.

Selon le rapport rendu en mars 2024 par la Commission Intelligence artificielle à la demande du gouvernement français, « la croissance économique annuelle de la France pourrait doubler grâce à l’automatisation de certaines tâches. Au bout de dix ans, la hausse de PIB serait comprise entre 250 et 420 milliards d’euros ».

Les leviers de croissance de l’IA

« La valeur ajoutée de l’IA repose principalement sur des gains de productivité, des effets de consommation et sur une meilleure gestion des risques », selon les économistes Jean-Bernard Mateu et Jean-Jacques Pluchart, auteurs d’une « Économie de l’intelligence artificielle ».

L’automatisation recourant à l’IA contribue à réduire les coûts des processus de production. Cet effet a déjà été observé sur la productivité individuelle de certains travailleurs d’après plusieurs études. Pour des activités de rédaction basiques (demandes de subventions, rédactions de résumés…), les professionnels utilisant un agent conversationnel se fondant sur l’IA bénéficient d’un gain moyen de productivité de 37 %. En informatique, un assistant de programmation fonctionnant grâce à l’IA apporte un gain de productivité de 55 % pour la rédaction de code.

Au sein d’une même profession, les effets du recours à l’IA profitent davantage aux travailleurs les moins performants. Ainsi, dans un cabinet de conseil international, pour des tâches créatives comme la création ou la promotion d’un produit, l’IA améliore la productivité des consultants les moins efficaces de 43 % contre 17 % pour les meilleurs. L’augmentation de la productivité n’est pas le seul levier de croissance de l’IA. « Elle semble accélérer l’innovation et la production d’idées, relève le rapport de la Commission Intelligence Artificielle. Si cet effet se confirme, il s’agirait là d’une caractéristique remarquable : elle pourrait induire une augmentation permanente du taux de croissance de l’économie. »
De fait, l’IA bouleverse déjà les modèles d’affaires des entreprises, c’est-à-dire la façon de créer la valeur et de générer des revenus. Ses applications dans le domaine de la distribution permettent de mieux connaître les besoins des clients et favorisent la consommation. Elle permet aussi de développer des produits et services qui n’étaient pas possibles auparavant, comme les produits connectés intelligents.

Un impact exagéré ?

« Même si vous croyez que l’IA est l’équivalent de l’électricité ou d’Internet, nous ne sommes qu’au début d’une transformation hautement complexe qui durera plusieurs décennies et est loin d’être jouée d’avance », avertissait Rana Foroohar, éditorialiste du Financial Times, en mars 2024. Ce n’est pas la seule observatrice à alerter sur le risque d’emballement de l’IA. « Les montants d’investissement sont complètement disproportionnés, mille fois trop élevés », estime par exemple l’ingénieur de Google François Chollet, dans un entretien au site suisse NZZ.

De fait, « si des études microéconomiques font état d’améliorations substantielles dans la productivité des entreprises et l’efficacité des travailleurs, les effets macroéconomiques (au niveau d’un pays) restent incertains », écrivent un groupe d’économistes de l’OCDE, dans un article début mai. « Il y a des désaccords considérables sur le potentiel de croissance de l’IA », observent-ils.

De nombreux freins potentiels

Ces mêmes économistes montrent que le rythme de déploiement de l’IA aux États-Unis est pour l’instant plus faible que celui de l’électricité et de l’informatique. Seules 5 % des entreprises déclarent l’utiliser en 2024 selon un sondage du Census Bureau, l’office américain des statistiques. Or la diffusion de l’IA risque d’être freinée par des difficultés technologiques (comme le montrent les retards de la voiture autonome), juridiques (liées à la protection des données personnelles) ou socioprofessionnelles (déficit de formation, résistance au changement).

La technologie comporte aussi des coûts cachés, comme les coûts énergétiques et environnementaux liés au stockage et au traitement des données. Dans une note d’avril 2024, l’économiste Daron Acemoglu met pour sa part en avant des effets sociaux négatifs, comme la multiplication des attaques informatiques, des fake news et autres manipulations, qui vont engendrer des coûts pour les contrer. Il met en garde contre la tentation de substituer l’innovation au travail au lieu de l’utiliser pour rendre ce dernier plus productif et mieux rémunéré.

Enfin, les effets de l’IA sur la croissance dépendent des politiques de concurrence. Les technologies de l’information et de la communication ont été un exemple de nouvelle technologie dont la diffusion et le potentiel de gains de productivité ont pu être bridés par quelques entreprises se partageant un monopole. « La protection de la concurrence dans le domaine de l’IA peut accélérer son adoption par les particuliers et les entreprises et ainsi, permettre une diffusion plus rapide des gains de productivité », plaidait Benoît Coeuré, président de l’Autorité française de la concurrence, dans une interview aux Echos en mars 2023.

Pour la Commission de l’Intelligence Artificielle, « il est donc essentiel de mettre en place un ensemble de politiques publiques adaptées pour maximiser les gains : politique d’innovation, politique industrielle, politique concurrentielle… L’accompagnement des reconversions professionnelles et la formation continue seront également déterminants. Seuls les États qui se donneront les moyens de maîtriser l’IA en obtiendront les principaux bénéfices. Or, à ce jour, la France et l’Europe sont en retard. »

 

Pour aller plus loin :

Des effets de l’IA sur l’emploi très incertains

Parue en avril 2024, une note de la Direction générale du Trésor sur « les enjeux économiques de l’intelligence artificielle » fait la synthèse des études les plus récentes parues dans le monde. Alors que le Fonds monétaire international (FMI) estime que 60 % des emplois des économies avancées pourraient présenter un degré élevé d’exposition à l’IA, la note souligne que les effets sur l’emploi dépendent à court terme de « la vitesse de déploiement de l’IA, de l’évolution de certains métiers vers des tâches qui lui sont complémentaires et de la réallocation de la main-d’œuvre vers les métiers en croissance ».

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