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La dette publique américaine effraie-t-elle les investisseurs ?

Economie
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Cette courte note propose de décrypter un graphique marquant, en lien avec l’actualité économique. Ce Killer Chart revient sur les détenteurs internationaux des titres de dette publique américaine et les récentes tendances.

Pourquoi c’est intéressant ?

Si l’issue des élections américaines de 2024 était difficilement prévisible, il existait bien un sujet sur lequel il y avait peu de doute aux Etats-Unis : le creusement du déficit public et l’augmentation la dette publique.

Le comité pour un budget fédéral responsable (groupe de réflexion américain) estimait en octobre 2024 l’impact fiscal des promesses de campagne du candidat élu atteindrait entre 4 000 Mds USD et 8 000 Mds USD. Des sommes colossales alors que le niveau d’endettement public aux Etats-Unis atteint déjà des sommets (124 % du PIB pour l’année fiscale 2024). Loin des débats européens sur la nécessité de consolider urgemment les finances publiques, les Etats-Unis tablent donc sur un renforcement du soutien budgétaire.

Audace ou fuite en avant ? Afin de répondre à cette question, il s’agit de déterminer qui est en mesure d’absorber ces montants supplémentaires de dette, corollaire des déficits et de l’accroissement de l’endettement public.

Certaines analyses s’interrogent en effet, la Federal Reserve (Fed) réduisant parallèlement son exposition sur les titres de dette souveraine américaine et l’appétit de certaines régions du monde (Japon, certains pays membres des BRICS) pour ces titres semblant s’atténuer. Davantage d’offre pour moins de demande donc.

Qu’en penser ?

En 2020-2021, le surplus de dette publique généré par la crise du Covid-19 aux Etats-Unis a été principalement absorbé par le secteur bancaire domestique (Fed et banques commerciales)[1]. Engagée dans la réduction de son bilan avec sa politique de resserrement quantitatif (réduction de la quantité des liquidités ou de la masse monétaire dans l’économie), la Fed apporterait dorénavant un soutien moins important, en ne refinançant que partiellement les obligations souveraines qu’elle détient arrivant à maturité, ce qui réduira la profondeur et la liquidité du marché, toutes choses égales par ailleurs.

A court terme, cela ne signifierait pas nécessairement d’augmentation des rendements souverains, car la Fed est actuellement dans un cycle de réduction des taux directeurs, favorisant une baisse des rendements le long de la courbe des taux. Cela pourrait en revanche impliquer un peu plus de volatilité sur les rendements obligataires à moyen terme, soit un « retour à la normale » après une parenthèse de près de 15 ans de politiques monétaires non conventionnelles. L’impact sur le dollar américain (USD) reste plus ambigu[2] mais probablement déterminant pour garantir une certaine forme d’attractivité des titres de dette américaine.

L’attractivité constituera un élément décisif, d’autant plus que depuis 2022, la remontée rapide des rendements obligataires américains, en lien avec le resserrement monétaire de la Fed, a été à l’origine du regain d’intérêt des investisseurs non-résidents pour les titres de dette souveraine américains (cf. graphique[3]). Cependant, certains pays semblent moins « gourmands » en titres américains, notamment la Chine dont les montants de titres américains a fortement chuté[4]. De quoi craindre une nouvelle tendance où certains pays ne seraient plus demandeurs de titres souverains américains ?

Comme évoqué dans un graphique publié par BSI Economics, il ne faut pas tirer de conclusion hâtive concernant une vague de « rejet » des titres de dette américaine. Le cas du Japon[5] semble assez spécifique et répondre à des arbitrages d’investissement (cf. cet article). Il existe également un scénario dans lequel, la demande de titres américains reste très soutenue, voire augmente, que cela soit pour des raisons règlementaires (pour respecter les exigences de capitaux propres pour le secteur financier par exemple) et d’arbitrages dans le cadre de stratégie d’investissement (quête de rendements ou de valeur refuge[6]).

Parmi les membres des BRICS, dont les détentions d’obligations américaines ont baissé ces dernières années, il s’agit de bien différencier les cas.

Le cas du Brésil est assez emblématique[7] dans la mesure où la phase de baisse des détentions d’obligations américaines à partir de 2020 coïncide avec une contraction des réserves de change liée à i) la crise du Covid, puis ii) aux pressions sur le real dans un contexte inflationniste.  La vente par la Banque centrale de réserves de change les plus liquides, comme les obligations américaines, est un mécanisme monétaire traditionnel au sein des économies émergentes pour faire face à des pressions sur leur devise[8]. Ces pays sont amenés à régulièrement recomposer leurs réserves de change pour absorber des chocs potentiels. Or à ce stade, si d’autres actifs (libellés par exemple en euros ou encore l’or) présentent un attrait particulier pour diversifier les réserves de change, les actifs libellés en USD restent parmi les plus répandus et les plus liquides.

En Chine, la baisse des montants de dette obligataire américain est à mettre en lien avec des aspects économiques et géopolitiques. Depuis 2021, la volatilité du Yuan en raison d’une politique monétaire très accommodante a, comme au Brésil, nécessité une intervention de la Banque centrale en cédant des réserves de change libellés en USD[9]. Cette tendance n’aurait pas forcément vocation à durer, d’ailleurs depuis fin 2022, la détention d’obligations américaines par Hong Kong, la place financière offshore de la Chine, augmente de nouveau. Les aspects politiques peuvent en revanche jouer momentanément en défaveur d’une demande de titres américains (comme lors de la guerre commerciale de 2018 ou lors de tensions sur le dossier de Taïwan). Le cas de la Russie est encore plus éloquent, où la volonté de ne pas s’exposer à davantage de sanctions peut même mener à des cessions d’actifs libellés en USD.

Il est difficile de statuer sur la soutenabilité réelle de la trajectoire des finances publiques américaines. Toutefois, si l’absorption de ce surplus de dette publique se fera dans un environnement probablement moins favorable que les précédents épisodes de forte hausse de l’endettement depuis 2008, les indicateurs actuels ne semble pas révéler à ce stade de réel changement de paradigme au niveau international.

Article rédigé le 03/11/2024 par Victor Lequillerier, Vice-Président et Secrétaire Générale de BSI Economics

[1] Dès lors, la part des détenteurs américains de titres de dette publique a relativement augmenté pour atteindre un peu plus de 75 % du total (+5 pts par rapport à la moyenne de 2019)

[2] Une policy mix accommodant (stimulus budgétaire et baisse des taux d’intérêt) s’accompagnerait en principe d’une baisse relative de la valeur de l’USD. Toutefois, la quête d’actifs liquides libellés en USD, que cela soit par des résidents ou des non-résidents, a tendance à générer des entrées nettes de capitaux positives, soutenant ainsi la valeur de l’USD. Par ailleurs, la réussite du policy mix américain sera probablement jugée sur sa capacité à générer de la croissance du PIB réel et à renforcer sa compétitivité, soit deux éléments favorables pour attirer des capitaux et renforcer l’attrait de l’USD.

[3] 8 503 Mds USD au T3 2024 contre 7 600 MDS USD au T1 2022 et 6 900 Mds USD au T4 2019.

[4] La Chine détenait au T3 2024 près de 775 Mds USD d’obligations souveraines américaines, contre près de 1 040 Mds USD début 2022 et 1 170 Mds USD début 2018 (pic à près de 1 200 Mds USD en 2015).

[5] Au T3 2024, le Japon détenait 1 130 Mds USD d’obligations souveraines américaines, contre un pic de 1 300 Mds USD au T4 2021.

[6] Par exemple dans un contexte hypothétique de détérioration des finances publiques en Zone euro, l’attrait des obligations américaines serait probablement renforcé également.

[7] Le Brésil détenait 233 Mds USD d’obligations souveraines américaines au T3 2024, contre un pic de près de 310 Mds USD mi 2019.

[8] C’est d’autant plus le cas dans des économies émergentes très intégrées financièrement et dont les flux de capitaux sont sensibles aux arbitrages d’investissement (Mexique, Afrique du Sud, Brésil, Indonésie, Turquie par exemple).

[9] Lors des phases de tensions économiques en Chine, les montants de dette américaine ont tendance à se réduire, la crise immobilière actuelle faisant écho à celle de 2015-2016.

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